Gap -  Hautes-Alpes

Au détour du Caucase
Conversation avec un cheval

Clara Arnaud

Ed. Gaïa, 2017

 

 

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L'épigraphe du récit nous donne déjà une explication :

"C'est cet effort d'absence volontaire, de déracinement voulu, de distanciation active par rapport à son milieu qui paraît toujours naturel, c'est donc cette manière de s'éloigner de soi-même - ne serait-ce que momentanément et provisoirement-, de se séparer du natal, du national et de ce qui plus généralement, le fixe dans une étroitesse identitaire, c'est cela et surtout cela que j'appellerai errance".

Akira Mizubayashi (écrivain de nationalité japonaise qui écrit en français)

La marche :

Clara explique au début du livre ce quelque chose que l'on peut cueillir dans l'errance :
"Partir n'est qu'un prétexte, et l'on pourrait tout aussi bien le faire au pied de chez soi si l'on était plus sage. L'important c'est le rythme, les pas qui claquent, ceux du cheval qui leur répondent, ces fragiles instants où l'on coïncide avec l'exacte pulsation du monde. On se dit que l'on tient là un alibi"

Clara s'attarde souvent pour dire les bienfaits de la marche. (Parce qu'elle marche à côté de son cheval qui lui porte les lourdes charges du campement.)
"La marche a pour principale vertu de créer le manque, laver des excès et des certitudes afin de vous livrer tout neuf aux petits plaisirs de la vie"

Et plus loin :
"On marche pour prendre l'exacte mesure de ce dont la terre est faite, de la morphologie de chaque vallée, de la teinte de leurs flancs, soumises aux variations des rayons de soleil. On marche pour appréhender l'étendue des steppes et la vigueur des vents. Réhabiliter une expérience du monde au ras du sol, un privilège, alors que tout un chacun peut lorgner d'en haut les images sans relief de Google Maps."

"Marcher, c'est aussi une façon de lutter contre le renoncement. Contre cette lame de fond qui nous attire, nous amène à se "conformer" par peur ou paresse... Se jeter sur la route, c'est accepter la précarité, la vacuité, l'inutilité de la scansion des pieds sur le sol. En écouter l'insondable écho, y chercher un sursaut, la grâce. C'est s'exposer, tolérer l'imprévu, dans une époque qui a le culte de la sécurité et du contrôle. Sauvons-nous, cavalons, libérons les chevaux"

Beaucoup de personnes rencontrées ne comprennent pas : une jeune femme seule qui marche à côté de son cheval ? Pourquoi ne le monte-elle pas ? Pourqoi ne prends-tu pas une voiture ? Tu as du temps à perdre ou quoi ?

"Mais c'est que je ne cherche pas à le gagner le temps, moi. Je préfère le savourer, sentir chaque kilomètre dans mes voûtes plantaires. Je veux imprimer le territoire dans mon corps... Je veux me fondre si bien au paysage que les chiens viennent mendier des caresses, que les vaches me regardent passer sans ciller, que même ce pic dans l'arbre ne s'enfuie pas à mon passage. Et jouir des nuits de pleine lune, lorsque, le campement enfin monté au bord d'une rivière, je suis envahie par une fatigue colossale, un délicieux épuisement, la sensation d'avoir mille ans"

Il y a ceux qui sont perplexes : " Une jeune femme seule comme cela, ce n'est pas bien, non ce n'est pas bien. Que peut faire une femme en âge de fonder une famille, à se promener dans les montagnes, affublée de godillots boueux ?Les gens sur la route ne sont pas tous fréquentables. Et ton mari, il n'est pas avec toi? "

Conversation avec un cheval



En fait Clara a eu deux chevaux pendant son périple . Elle a été obligée de se séparer du premier, Boy, parce que les formalités administratives duraient une éternité pour lui faire passer la frontière entre l'Arménie et la Géorgie. le second elle l'a acheté dans un grand marché aux animaux et lui aussi elle s'en séparera à la fin de son voyage. "J'ai fermé les yeux, je n'entendais plus que le claquement des sabots amortis par le sol boueux. J'aurais pleuré si une pudeur ne m'avait pas retenue de le faire en public". Et sa peine sera la même quand elle se séparera du deuxième, Davaï. Les deux séparations, c'est pour elle un arrachement. "Je n'ai jamais été seule, deux chevaux m'auront escortée durant ces mois de marche, deux fortes têtes avec lesquelles j'ai tenu d'interminables et silencieuses conversations".

Le cheval est un animal très prisé dans ces pays et le fait d'en avoir un, lui donnait une certaine aura, la protégeait. "Les Arméniens sont impressionnés de me voir mener Boy. Je ne suis plus une piétonne vagabonde, mais la tête d'un troupeau minuscule.... J'ai la sensation d'avoir gagné le statut de "meneuse de cheval".



Clara a des échanges avec son cheval, des échanges silencieux. Elle lui parle intérieurement sans toujours prononcer les mots. Elle lui dit sa joie d'arriver au sommet d'un col, de repartir le matin au petit jour. Elle l'écoute aussi, elle écoute le bruit de ses pas, sa respiration, pour savoir s'il est bien. Elle chantonne pour le calmer, elle le caresse sur l'encolure quand un camion fait trop de bruit. Le cheval la protège de son flanc quand la tempête est tellement violente. Elle écrit :
"Il est difficile de décrire la sérénité que procure en moi la compagnie des chevaux, leur odeur qui imprègne jusqu'à la peau, la chaleur de cette masse musculaire prête à détaler dans un mouvement explosif. Leur vulnérabilité, en dépit de la puissance qu'ils dégagent, justifie le pacte qu'ils concluent avec les hommes. ILs cherchent la subordination, sont enclins à s'aligner derrière celui qui leur offre une protection. L'étrangeté de cette relation de couple me fascine : le temps qu'exige la confiance pour s'installer, la droiture qu'elle impose. On ne trahit pas un cheval, car alors, il n'y a pas d'explication possible, plus qu'une abyssale méfiance que nul pardon ne viendra combler. Les chevaux sont imperméables au chantage et aux manipulations du langage. Ils n'oublient pas la peur ou la douleur; ils ne tolèrent pas les trahisons."

Les paysages, les villes :

Clara aborde des sujets de société en s'attardant sur des descriptions : en Arménie par ex elle traverse des villes où des friches industrielles, des bâtiments en ruine, des banlieues défraîchies rappellent l'époque révolue de l'URSS et de ses marchés florisssants.
Une décharge à ciel ouvert au milieu d'une magnifique vallée, des ordures accumulées au bord des routes. "Ce sont là les souillures de l'homme partout où il s'installe".

Mais à côté, des paysages grandioses, magnifiques, essentiellement des montagnes recouvertes de forêt et de neige à leur sommet, qui font prendre conscience de la petitesse de l'homme : "La pratique de la montagne est un exercice de disparition, on y fait chaque jour l'expérience de son insignifiance"

Avec son cheval, elle essuie très souvent des orages dévastateurs, de véritables tempêtes :
"Alors que je m'étais réfugiée dans mon duvet, un violent orage a éclaté. Je me suis trouvée rassurée de sentir la force des éléments, comme si le déferlement d'eau sur la toile de la tente, les vibrations flamboyantes du tonnerre, et les éclairs qui illuminaient les parois de roche, confirmaient l'existence d'une force sumérieure. Je me suis endormie comme dans un navire à la dérive;"

L'accueil :

Clara insiste sur la chaleur de l'accueil qu'elle reçoit. Les portes s'ouvrent pour l'accueillir même dans des maisons très modestes.Il y a toujours un lit pour elle avec des couvertures épaisses qui sentent la poussière et parfois le moisi. Les repas sont partégés avec les fameux raviolis, les khindalis. Beaucoup d'émotion se dégage de ces rencontres "J'ai la sensation d'être tout à fait à ma place". Les gens lui disent leurs angoisse, leurs peurs. Les anciens ne comprennent pas les nouvelles générations qui, souvent désooeuvrées, partent rejoindre Daech en Syrie. Et quand il faut quitter ceux qui l'ont reçue si chaleureusement on cache ses larmes, on promet de revenir.
Ce qu'elle vit c'est tout le contraire du tourisme de masse des voyages organisés, où la façon de voyager est standardisée, ce qu'elle appelle un anti-programme de voyage.

L'émotion du texte :

Clara a l'art de faire passer une émotion par quelques mots sans s'attarder. Quand elle se sépare de ses chevaux; quand elle quitte Nino et sa famille, les larmes aux yeux; quand une nuit dans la forêt une peur panique s'est emparée de son cheval et qu'à son tour l'angoisse la saisit quand elle voit dans la nuit deux taches jaunes; quand elle est lancée dans une course folle accrochée à l'encolure de son cheval....

L'écriture :

Un jour l'appareil photo de Clara a rendu l'âme. Grosse colère contre ces mécaniques périssables. Mais très vite elle prend conscience de la valeur de l'écriture face àla photo.
"Alors que l'on photographie aux yeux de tous, écrire est une activité àlaquelle on s'adonne en secret. Je m'y consacre le soir de préférence .... C'est un travail d'orpailleur....Restituer une émotion, une couleur, une anecdote ou une rencontre, parfois juste le parfum d'un café, l'intensité d'une pluie.....
L'écriture est aussi le lieu de toutes les libertés, celles que l'on s'autorise par rapport au réel, en reconstituant, interprétant, travestissant, embellissant; se défiant de la matière brute des choses. Car il s'agit avant tout de donner une forme poétique àla vie, de lutter contre l'effacement......Je ne pourrai plus photographier ce voyage, mais j'écrirai encore des textes, j'y mettrai des montagnes, l'odeur des chevaux, un peu de café turc et la sensation de la pluie s'abattant sur le corps en mouvement."

La conclusion :

Laissons-la à Clara :

"Cela fait bien longtemps déjà que je sais que les voyages ne vous changent pas vraiment. Ils se contentent d'exhumer ces traits extrêmes du caractère que la vie sociale invite à réprimer, le pire comme le meilleur. Ils nous révèlent lâche, colérique, impatient, mais aussi parfois brave, lumineux. Et pourtant on attend toujours que la vérité apparaisse, et qu'au hasard d'un cheminon comprenne enfin ce qu'on fait là. mais la route ne dit rien, elle est taiseuse, elle ne fait que poser des questions. Alors on finit toujours par repartir "

* Les photos viennent du blog "Le mag des cavaliers voyageurs" :

https://blog.cheval-daventure.com/fr/post/76/clara-arnaud-marcheuse-avec-les-chevaux-dans-le-caucase