Un drôle de titre, que les premières lignes du récit de Jean-Claude Grumberg éclairent :
« Et Yahweh dit à Moïse :
« Que plate soit la terre afin que mon peuple bien-aimé puisse s’y répandre et la
parcourir en tous sens. »
Et plate fut la terre
Et dispersé en tous sens le peuple bien-aimé
Avant d’être chassé de partout. »
Il s’agit de destins tragiques, de personnes ballottées d’un bout à l’autre de l’Europe
au gré des soubresauts de l’histoire et de l’ironie du sort.
Jean-Claude Grumberg, 85 ans, tente de reconstituer l’histoire de ses parents et
celle de ses grand-parents , juifs originaires de Galicie, qui, pendant les sombres
périodes de la 1ère moitié du XXème siècle, ont dû affronter, d’une guerre à une
autre guerre, l’exil, la rétention, l’expulsion, les pogroms de nouveau et puis les
camps…
« Je m’aperçois à quel point il est difficile de raconter une histoire vraie, surtout
quand on ne la connaît pas » nous dit l’auteur. Il lui faut pour cela convoquer des
souvenirs parcellaires de sa propre enfance.
Une enfance à Paris pendant la seconde guerre mondiale, avec sa mère Suzanne et
son frère aîné Maxime « le chef de famille », responsable à l’âge de huit ans, dès
lors que leur père Zacharie, arrêté par la police française a disparu …
« on ne sait où … » .
Il était alors un jeune enfant qui ne posait pas de questions, questions auxquelles
d’ailleurs sa mère n’aurait pas répondu ou alors par une expression qui lui était
familière : « mystère et boule de gomme »… Comment alors raconter ce dont on ne
sait presque rien , dont il ne reste pas de traces, dont tous les protagonistes ont
disparu .
C’est tantôt par le chemin des contes, une voie qu’il avait déjà empruntée dans « La
plus précieuse des marchandises » ( 2019) , tantôt par un humour léger mais incisif
que Jean Claude Grumberg relate ce passé familial lacunaire dans un récit émouvant , parfois tendre, le plus souvent cruel.
« Quand la terre était plate » est un itinéraire de mémoire. C’est aussi un bel
hommage à une mère qui a élevé seule ses deux garçons, une femme qui ne savait
ni lire ni écrire, la 1ère guerre l’ayant éloignée de l’école.
« Mais tout en griffonnant je pense à toi, Suzanne, je pense à toi, maman, à tes
faibles forces, à ta détresse, à ta solitude, à tes angoisses. Je pense à toi et je te
revois tirant l’aiguille au 26 , à côté de ta camarade de boulot, madame Bella, dont le
numéro sur son avant-bras montait et descendait au gré des aiguillées. Je suivais
des yeux son numéro, déjà fasciné, happé, je le suivais des yeux lorsque je venais
te chercher à l’atelier, le samedi midi en sortant de l’école"
(Présentation : Tiziana Champey)