Gap -  Hautes-Alpes

Mon vrai nom est Elisabeth

Adèle Yon

Ed. du Sous-sol, 2025

 











 

 

Ce récit tient à la fois du roman autobiographique et de l’essai féministe. Adèle Yon est chercheuse en sociologie, elle enquête auprès des membres de sa famille et fait des recherches d’archives afin de comprendre ce qui est arrivé à son arrière-grand-mère, lobotomisée puis internée dans un hôpital psychiatrique pendant 17 ans.

Elisabeth est dite « Betsy », Adèle Yon ne l’a pas connue. Betsy a été diagnostiquée schizophrène dans les années 1950. Depuis, la schizophrénie est une histoire de famille. Plusieurs membres de sa famille ont alerté l’auteure sur sa prédisposition à développer cette pathologie. Curieuse et inquiète, elle questionne son entourage afin de comprendre qui était Betsy. Mais celle-ci est un « non-sujet », ses enfants et petits-enfants ne la voyaient que rarement. Depuis sa mort, plus personne ne parle d’elle. Il reste seulement le souvenir d’une vieille dame un peu folle, avec une cavité de chaque côté du front.
Dans cette famille bourgeoise, les secrets sont nombreux. Qui est Betsy, pourquoi a-t-elle laissé si peu de souvenirs ? Pourquoi ses six enfants l’ont si peu vue ? L’auteure découvre, au fil de ses recherches, qu’à la suite d’un diagnostic de schizophrénie et afin de la « guérir », son mari lui a imposé plusieurs séries d’électrochocs ainsi qu’une cure de Sakel. Puis, il a négocié auprès des médecins afin qu’elle subisse une lobotomie, opération qui pouvait, selon lui, la rendre à nouveau normale et adaptée à leur monde patriarcal. Après ces traitements, elle ne lui convient toujours pas et il l’a fait interner dans un hôpital psychiatrique. 
Libérée de cet hôpital grâce à plusieurs réformes législatives, elle retrouve sa liberté, mais est à jamais diminuée par tout ce qu’elle a subi.

L’ouvrage est une plongée dans la psychiatrie des années 1950, une période où cette spécialité médicale, mais aussi la société tout entière, est marquée par la misogynie. L’homme décide et peut disposer du corps des femmes comme il l’entend.
Au cours du récit on découvre que Betsy était en réalité une femme libre. Elle voulait se marier afin de fuir son cadre familial incestueux. Mais elle s’est trop rapidement mariée avec un homme violent. Il n’acceptait pas qu’elle puisse disposer de son corps, choisir d’avoir ou non des relations sexuelles et des enfants. Il voulait en faire la parfaite femme au foyer, soumise, gentille et serviable. Elle ne correspondait pas au modèle que l’on attendait d’une femme bourgeoise des années 1950. Son mari l’a donc fait passer pour folle a négocié avec des médecins afin de la faire diagnostiquer schizophrène. Puis il lui a imposé une lobotomie.

En parallèle de ses recherches sur sa famille, Adèle Yon enquête sur la lobotomie. Cette pratique, réalisée pour la première fois en 1935, a sévi jusque dans les années 1960. D’après ses recherches, la grande majorité des personnes opérées en France étaient des femmes (84%) souvent forcées par leur mari parce qu’elles ne convenaient pas à l’ordre patriarcal en place. « La question n’est pas : est-ce que la lobotomie guérit ? La question est : la lobotomie permet-elle de limiter les préjudices que le comportement du malade porte à son entourage ? Ainsi, à la suite d’une lobotomie, une patiente est déclarée guérie en fonction de sa seule capacité à évoluer dans un milieu sans en troubler l’ordre », en conclut l’auteure.
La lobotomie est une opération risquée, elle diminue cognitivement et affectivement un individu. Les personnes sont opérées seulement afin de devenir conformes aux exigences sociales, quitte à ce qu’elles deviennent abêties, apathiques, qu’elles présentent une incapacité mentale, ou même qu’elles risquent d’en mourir.

La lobotomie qui consiste à sectionner ou à altérer la substance blanche d’un lobe cérébral. Elle est désormais interdite dans de nombreux pays et n'est plus considérée comme une bonne pratique dans la médecine actuelle. Dès les années 1950, de sérieux doutes concernant cette opération commencent à se faire entendre dans différents domaines médicaux, notamment du fait de sa nature irréversible et barbare. Elle deviendra de plus en plus rare mais continuera jusque dans les années 1980. Les effets sur le patient sont de l'apathie et de l'indifférence, et peuvent également entrainer des douleurs extrêmes.

 

(Présentation : Mireille Le Louet)